Les illusions des médecins libéraux
Les médecins libéraux français ont des taux de suicides plus importants que la moyenne nationale. Les médecins libéraux français sont parmi les plus isolés dans leur pratiques professionnelles. Les médecins libéraux français ne gagnent pas bien leur vie quand ils sont trop nombreux et travaillent trop quand ils ne sont pas assez nombreux. Les médecins libéraux français sont confrontés sans moyens aux pathologies sociales et à l’évolution des besoins de santé. Les médecins libéraux français n’ont jamais été aussi nombreux en activité. Pourtant, les médecins libéraux français n’ont jamais été aussi mal dans leur exercice quotidien.
De fait, les médecins libéraux français sont restés arc-boutés sur des principes d’exercice de la médecine hérités de la fin du XIX ème siècle : libre choix du médecin, libre installation, paiement à l'acte, colloque singulier entre le patient et le soignant pratiquant son art médical.
Cette vision de la médecine libérale est particulière à notre pays . Elle peut paraître idéale aux yeux de quelques nostalgiques. Aujourd’hui, elle se révèle un piège redoutable pour les médecins libéraux : acte médical devenu prestation de service, inégalité de répartition des professionnels, et isolement intenable.
L’autre particularité de notre pays est d'avoir mutualisé les recettes au travers des contributions sociales sur le principe : « chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins » . Dans ce cadre, la Sécurité sociale a proposé un système de rémunération spécifique aux médecins libéraux . Ce conventionnement permet au médecin d'être assuré du paiement de tous les patients même les plus pauvres . En retour, ce système permet à tous les patients, même les plus pauvres, de recevoir des soins performants.
Au fil des années, les syndicats majoritaires de médecins libéraux ont refusé avec obstination toutes négociations avec la Sécurité sociale sur l’organisation de la médecine ambulatoire . Ils ont laissé se dégrader les conditions d’exercices des praticiens faute de n’avoir pas compris la nécessité de s’adapter aux évolutions de la société et des besoins de santé.
Chaque réforme a ainsi laissé de coté la responsabilité de l’un des acteurs essentiels de notre système de santé . La médecine libérale assure en effet la quasi totalité de l’offre de santé de premier recours : elle accueille, elle prescrit, elle oriente.
Ce refus de faire évoluer l’organisation et les modalités d’exercice en médecine ambulatoire a des répercussions majeures sur la qualité de notre système de santé . D’une part , il a crée une inégalité de répartition des médecins responsable d’une véritable perte de chance pour les habitants de nombreux territoire. D’autre part, il a enfermé les praticiens libéraux dans une impasse professionnelle .
Sommés de faire quelque chose, les syndicats majoritaires des médecins libéraux sacrifient les jeunes internes « toutes choses égales par ailleurs ». Ils ne proposent en effet ni évolution de l’organisation de la médecine ambulatoire , ni évolution des modalités d’exercice. Une fois encore, ils refusent tout changement au nom de la préservation de principes d’un autre âge .
J’ai rencontré ces jeunes internes. Ils sont en grève parce qu’ils refusent d’être la variable ajustable du système quand leurs aînés refusent la moindre remise en cause. Ils veulent une qualité d’exercice professionnel, ils veulent travailler en groupe et en réseau, ils veulent une vie normale pour eux et pour leur famille, ils veulent que leur conjoint(e) puisse trouver du travail. Alors, ils disent : « associez-nous aux négociations car c’est de notre avenir professionnel qu’il s’agit »
Ils savent qu’il faut trouver des solutions pour assurer l’égalité d’accès des usagers . Alors ils disent : « les régions, les départements expérimentent , proposent des solutions. Pourquoi ne pas regarder ce qui marche et le développer au niveau national, pourquoi ne pas proposer la possibilité d’être salarié à ceux qui le souhaitent, pourquoi ne pas changer l’organisation de la médecine ambulatoire »
Et pourquoi pas ?
Il existe d'autres voies pour que tous les médecins continuent à exercer dans de meilleures conditions de travail et de rémunérations financières. Ces voies nécessiteront des évolutions culturelles mais elles préserveront l'essentiel de ce qui est important pour que nos concitoyens continuent à bénéficier d’un système de santé mutualisé, égalitaire et performant. Le moment est peut-être venu de réorganiser la médecine ambulatoire ?
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