dimanche 9 septembre 2007




Synopsis de l’intervention de Michèle Sarde à l’Assemblée des Femmes, le mercredi 29 août 2007 à La Rochelle

APRÈS LA BATAILLE
Chronique d’un rendez-vous manqué

Ségolène Royal a-t-elle perdu les élections présidentielles parce qu’elle est une femme ? Ce rendez-vous, manqué pour la gauche, peut-il être reporté pour les femmes ?
Des hypothèses et des éléments de réponse.

Un drame en cinq actes

L’acte I


commence en automne 2006. Plutôt bien. Avec des primaires bien organisées, des militants qui s’inscrivent en masse, grâce au vote à 20 euros, des sondages qui portent régulièrement Ségolène Royal au pinacle. Pour la première fois une femme. Une femme en porte à faux avec son parti, qui parle vrai, qui incarne le renouveau des valeurs. Dans les trois débats officiels entre les candidats concurrents, Ségolène Royal prend de l’avance chez les sympathisants socialistes.
Parallèlement le machisme de son camp s’exprime par les petites phrases condescendantes des ténors du Parti ou de leurs états-majors. Ces petites phrases sont complaisamment rapportées par les médias. Et soudain le pays prend conscience de la profondeur des archaïsmes misogynes, notamment au sein des partis et les tourne en dérision. Finalement tout ce sexisme armé contre la candidate se retourne en avantage. Et effectivement, Ségolène Royal est désignée à 60,65 % par le vote des militants.


Acte II. Il inclut le « trou noir de janvier », quand « les débats participatifs semblaient trainer en longueur et la parole de la candidate se faire attendre » (Rozès). La candidate apparaît alors comme prisonnière de l’appareil du PS. À partir de là, se développe la relation conflictuelle entre un Parti qui ne s’est jamais vraiment rallié et une candidate qui ne le souhaite qu’à moitié. Cette relation impossible va entamer la crédibilité de la candidate et instruire son procès en incompétence. C’est une femme seule qui affronte la classe politique dans son ensemble.


Acte III. Il précède le premier tour des élections. Il est marqué par le Tout Sauf Sarkozy. Désormais la candidate apparaît moins comme présidente potentielle que comme mais challenger de Sarkozy ».On assiste parallèlement à une fuite en avant vers la candidature de François Bayrou, au prétexte que la candidate « n’a pas l’étoffe d’un président ». Dans cette ambiance de sauve qui peut, à l’approche de l’issue fatale, toute la classe politico-médiatique se mobilise dans un réflexe du genre TSF : Tout Sauf une Femme.


Acte IV. Le premier tour. Vingt cinq, quatre vingt sept pour cent. 25,87%. Un score équivalent à celui de François Mitterrand en 81, contre 31,18%.L’entre deux tours est marqué par deux rencontres, entre la candidate et les deux hommes sortis favoris des urnes. SR manifeste dans la rencontre avec François Bayrou de la souplesse et une capacité au compromis.
Dans la deuxième rencontre, le débat avec NS, son compétiteur principal, SR manifeste des qualités inverses. Mais sa fermeté et sa pugnacité ne lui feront pas rattraper son écart. L’attaque frontale contre Sarkozy ne convainc pas, la « saine colère » ne passe pas. L’échange des rôles profite au candidat féminisé, pas à la candidate masculinisée.


Acte V et deuxième tour. Il n’y aura pas de miracle au dénouement. La question que nous pouvons poser à l’issue de ce bref bilan est : Ségolène Royal a-t-elle ou non perdu parce qu’elle est une femme ? Et les femmes, n’ont-elles perdu que la première bataille ?


Un écart résiduel : le genre


Et si dans la vie politique, l’écart résiduel observé dans tous les pays européens entre salaires féminins et masculins s’était appliqué en 2007 entre les deux candidats ? Il supposerait que Ségolène Royal ait été en tous points aussi crédible et compétente que Nicolas Sarkozy, comme son avance dans les sondages à l’automne 2006 permet d’en faire l’hypothèse. Il reste qu’il est un homme et qu’elle est une femme, vérité que les citoyens vont découvrir entre novembre 2006 et mai 2007, quand les personnalités s’affirment. Elle expliquerait l’impossibilité de la candidate à décoller dans les sondages pendant cette période et jusqu’à l’échéance finale. Donc le résidu de l’inégalité.

Les fondamentaux : chiffres et faits


Misogynie féminine ? L’électorat féminin était la grande inconnue de cette première. La candidate a envoyé pendant sa campagne de nombreux appels dans cette direction. Elle n'obtient parmi les femmes que 46 % des voix, seulement un point au-dessus de Jospin en 1995.


Misogynie des vieilles ? La candidate de la gauche n’a obtenu que 33 % des voix des personnes âgées de plus de 65 ans. Dans cette catégorie, la gauche est de sept points en dessous de son score du second tour de 1995.


Evolution des jeunes ? Les jeunes femmes de 18 à 24 ans ont voté massivement pour elle, à 69 %, beaucoup plus que les jeunes hommes, qui représentent néanmoins l’un de ses principaux soutiens, 57 %. Question : L’électorat féminin est-il en train de changer et les jeunes femmes plus à même de voter pour l’une des leurs ?


Au final, une femme en France a recueilli presque 47% des suffrages. Une femme a tenu bon. Malgré son camp, malgré les médias, malgré les machos, malgré les femmes, malgré les féministes. Le peuple lui aussi a tenu bon, contre des siècles de misogynie et de sexisme.
Néanmoins, la défaite de la candidate marque un recul général pour les femmes. Après l’effet d’annonce du gouvernement de Fillon 1, le gouvernement Fillon II n’est plus paritaire et ne comprend qu’un tiers de femmes. La promesse d’un ministère des femmes, pour défendre leurs intérêts collectifs, n’a pas été tenue. Le cumul des mandats qui ferme l’accession au parlement de nouvelles arrivées n’a pas été supprimé comme l’avait promis, elle, la candidate.
Le président de la République française n’a toujours pas de féminin, ni dans la langue ni dans l’histoire, ni dans la réalité contemporaine.

Parmi les multiples disfonctionnements qui éclairent ce rendez vous manqué: 1) les rapports conflictuels entre la candidate et la classe politico-médiatique ; 2) la misogynie féminine qui explique la tiédeur de l’électorat féminin ; 3) une culture féminine analphabète de la gouvernance ; 4) Le charisme féminin et la difficulté pour une candidate de représenter l’universel, dans une démocratie fondatrice.

1er facteur : Les rapports conflictuels entre la candidate et la classe politico médiatique
Il est clair qu’aux yeux de la plupart des citoyens de gauche, la cause essentielle de la défaite de 2007 a tenu à ce que la greffe avec le Parti dans la seconde phase de la campagne n’a pas fonctionné. Seule contre tous. La candidate face à l’appareil. Pour les uns, la responsabilité de cette séparation incombe à la candidate, pour les autres, elle incombe au Parti.
Accusée de ne pas avoir de programme, Ségolène Royal a dû pourtant défendre à la fois deux programmes, le projet du Parti socialiste et son propre Pacte présidentiel. Un de trop !
Pour d’autres, c’est la candidate qui aurait laissé tomber le Parti, ne retenant ni les idées ni les personnes, ni le projet, ni les rituels ni le langage, avec un triple reproche: l’organisation, la communication, l’écoute.
Question ? Pourquoi aucun livre, parmi les dizaines qui ont paru sur Ségolène Royal, n’a t-il pris ouvertement le parti d’une candidate qui a réussi néanmoins à rallier 17 millions d’électeurs ?

2e facteur : La misogynie féminine
Elle explique entre autres la tiédeur de l’électorat féminin car en ce qui concerne les femmes, plus de 51% de l’électorat, la candidate n’a pas ratissé large. Le déficit de voix féminines est d’autant plus éloquent que depuis les années 90, on assiste en France, au basculement progressif des électrices vers la gauche. Cette tendance ne s’est pas confirmée devant une candidature féminine de gauche. Tout au contraire. Les électrices ont emboité le pas aux femmes plus en vue en ne votant pour la candidate qu’à 46%.
Ces réactions de la part de beaucoup de femmes, ont fait apparaître une spécificité de la société française : le manque de solidarité des femmes et le refus de la « sororité », un mot ridiculisé par les médias pendant la campagne. Des mots et des valeurs qui existent pourtant dans des sociétés aussi différentes que le Chili de Michelle Bachelet, ou les États-Unis, où Hillary Clinton encore récemment pouvait compter sur son électorat féminin. Et les États-Unis sont pourtant comme la France, une démocratie fondatrice, fondée sur la grande fratrie masculine.
Et les féministes. Même les féministes ! Les relations délicates de la candidate, qui a toujours revendiqué son féminisme, avec les féministes, mettent en lumière l’ambivalence et la complexité des positions dès lors qu’on quitte la théorie pour le terrain. Certes la plupart des associations féministes et des mouvements de femmes ont soutenu la candidate mais beaucoup de figures du féminisme ont gardé le silence ou se sont montrées sévères à l’égard de la première femme qui ait passé la barre du premier tour aux présidentielles.
Un chef, un homme très viril, peut aujourd’hui se féminiser sans honte et y gagner des voix. Une (jolie) femme ne peut pas se masculiniser sans se ridiculiser et passer pour une maitresse d’école. Mais elle ne peut pas non plus jouer de son charme sans être clouée au pilori par les autres femmes. Donc pour la candidate, la partie n’était pas simple. Elle se devait de séduire ses électeurs par sa grâce féminine, mais aussi de les gagner par sa combativité et sa force tout en déstabilisant son adversaire de la manière la plus asexuée possible afin qu’on ne répète pas qu’elle tablait sur ses attraits physiques.


3e facteur : Une culture féminine, analphabète de la gouvernance
Femme comme les autres, SR est le produit d’une culture féminine privée qu’elle transpose dans la vie politique. Les femmes qui accèdent à la sphère publique ont le mérite ou le défaut de la transparence, le courage ou l’inconscience de parler vrai. Elles ont pris tant de coups, elles ont été si habituées à être contestées qu’au premier succès, elles oublient que dans un monde d’hommes, il faut ménager les hommes. Et que dans ce même monde d’hommes, les autres femmes n’acceptent pas qu’on ne ménage pas leurs hommes.
De la sphère privée où elles ont régné dans la mixité, les femmes avaient l’habitude de privilégier la confiance dans les relations humaines. Dans la sphère publique où il n’y a jamais eu de mixité, elles tentent de transférer leurs habitudes, donnant par exemple la prime à la loyauté individuelle. Dans la culture féminine d’aujourd’hui, il n’y a pas, -pas encore?- le cynisme, l’opportunisme, ou le pragmatisme, que donne la longue habitude du pouvoir.
Deux solutions. Soit imiter les hommes. Soit trouver un autre moule, qui fonctionne. Les femmes de droite réussissent mieux peut-être parce qu’elles ne veulent rien démontrer si ce n’est qu’elles sont capables en tant que personnes. Quant au nouveau moule, il y faudra encore de la réflexion et de la préparation. La candidate l’a reconnu elle-même. On ne peut pas à la fois créer un modèle féminin de pouvoir dans une société particulièrement résistante et sexiste, réformer un parti, balayer des préjugés millénaires et gagner une élection présidentielle. Question : Qu’est ce qui doit changer, le pouvoir ou les femmes ?

4e facteur : Le charisme de la candidate. Incarner plutôt que représenter
Un dernier facteur peut servir de réponse à cette dernière question : la difficulté, liée à la nouveauté, pour les femmes de représenter l’universel. Même si elles ont du charisme, un charisme « aussi indiscutable qu’inexplicable ». comme on l’a reconnu à propos de Ségolène Royal. Questions : Le charisme masculin peut-il lui s’expliquer ? Y a-t-il différence de nature entre charisme masculin et féminin ? De quoi est fait le charisme de SR, à la fois femme comme les autres et femme singulière ?
Le charisme de la candidate a reposé me semble t-il sur sa capacité à incarner, le charisme du candidat sur sa capacité à représenter. Les symboles existaient déjà dans l’iconographie nationale. La candidate a réussi à les incarner en chair et en os. Jusqu’à la France présidente, son slogan présidentiel.
Mais pour une femme, les modèles sont rares, le répertoire limité à des figures, presque toutes sacrificielles. Sur la fin de sa campagne, SR a choisi de privilégier Jeanne d’Arc, une image qui a sans doute contribué à renforcer certaine dimension christique mais qui dans un pays aussi laïque que la France ne passe pas bien auprès des électeurs de gauche.
La candidate incarnait l’ordre juste, le candidat entendait simplement corriger certaines injustices. Au bout du compte, les électeurs ont manifesté qu’ils votaient pour une personne qui représentaient leurs intérêts plus que pour des symboles ou même des idées et une vision.

Quelques aphorismes féministes à tirer de l’élection présidentielle


Adam. D’habitude ce sont les femmes les perfides qui trahissent les hommes. Les transfuges de la gauche au gouvernement font mentir l’éternel masculin. Nous soupçonnions bien qu’Adam avait croqué la pomme le premier.


Bataille. Si l’ex candidate prend la tête de l’opposition et si elle y attire davantage de femmes de gauche, les femmes de gauche auront partiellement gagné cette bataille. Mais elles seront loin d’avoir gagné la guerre.


Bizutage. Voyons la campagne présidentielle comme rite de bizutage de l’entrée des femmes dans la grande politique. On a perdu les élections mais on a gagné la légitimité.


Cohabitation. L’ « ouverture » du Président le conduirait-elle à proposer Matignon à l’ex candidate de la gauche en cas de cohabitation ? Rien ne serait impossible à ce couple d’enfer. Chiche qu’elle accepte !


Défaite. Encaisser une défaite, est-ce quitter la scène politique par dépit ou continuer à se battre ? Quand on est dans l’arène depuis si peu de temps, on hésite à la quitter. Des fois qu’elle se referme pour toujours..


« Emmerdeuse ». D’après les intéressées elles mêmes, les « emmerdeuses» sont soigneusement écartées à tous les échelons du Parti au profit des femmes soumises. Question : Faut-il être une emmerdeuse pour réussir dans la politique française ?


Jeunisme. Pour faire passer une femme, doit-on retirer aux plus de soixante cinq ans leur droit de vote en attendant qu’ils soient remplacés par des seniors aux idées plus neuves ?


Pouvoir. L’ascension vers le pouvoir, c’est comme l’alpinisme. Ça s’apprend.


Respect. Une première : Quand Patrick Devedjian traite Anne Marie Comparini de salope, aujourd’hui, tout le monde s’indigne, y compris dans son propre camp.


Transversalité. Le féminisme traverse les partis et les sensibilités politiques. Simone Veil a rendu hommage au courage de Ségolène Royal. Fadela Amara est secrétaire d’état de Nicolas Sarkozy.


Victoire. Le mot revers est préférable à celui d’échec (personnel) ou de défaite (collective). Revers contient une promesse de rebonds, donc de victoire. Appelons donc revers ce rendez-vous manqué et donnons-nous pour mission de tenir cette promesse de victoire.

Michèle Sarde, écrivaine. Dernier ouvrage paru: De l’Alcôve à l’Arène – Nouveau regard sur les Françaises (Robert Laffont, 2007).

Aucun commentaire: